De Taupont à Hanvec, de Californie à Menez Meur. La vie de Julien Prioux

Julien Prioux, paysan défricheur

Menez Meur, 30 ans de travaux.
 

Julien Prioux défriche et exploite les terres de Menez Meur pendant plus de 30 ans.
Le préalable est forcément la construction de bâtiments et d’un puits car l’eau est primordiale. Il choisit un terrain plat, avec une vue magnifique, tout en haut du domaine et bâtit une maison avec granges, écurie, crèches…

Ses réalisations sont précisément décrites dans une expertise du domaine demandée au printemps 1901 par ses héritières. On y lit que l’ensemble est constitué de :
— deux corps de ferme avec maisons, bâtiments agricoles et jardins ;
— environ 18 hectares cultivables ;
— environ 2 hectares de bois ;
— environ 125 hectares de landes et de terres inexploitables (rochers, terrains marécageux...).

Archives départementales du Finistère, 4 Q 5/1063, 4 juin 1902.

 

Les maisons, collection personnelle.

 

Granges de Menez Meur, collection personnelle.

 

Cette propriété se compose :
• premièrement, de la petite ferme de Croas ar Guennec comprenant d’après la désignation qui en est fait dans un rapport d’experts en date au commencement du 4 mars 1901, clos le 19 avril suivant, enregistré, déposé au greffe du tribunal civil de Brest le 30 avril 1901 :
1° une maison construite en maçonnerie, couverte en ardoises, ayant rez-de-chaussée et grenier ;
2° au pignon levant de cette maison une crèche construite en maçonnerie, couverte en ardoises ;
3° au midi de ces édifices dont elle est séparée par une cour, une grange construite en maçonnerie ayant grenier sous couverture d’ardoises ;
4° et la partie plaine au nord de la montagne contenant, ladite partie, environ 4 hectares de terres défrichées ou sous pré ;
5° et environ 32 hectares sous lande ou rochers ;

• deuxièmement, de la ferme de Menez Meur située au sommet de la montagne de ce nom et comprenant d’après la désignation qui en est faite dans le même rapport d’experts :
1° sous lande environ 60 hectares ;
2° à l’est du village sur le bord du chemin vicinal de Sizun à Lopérec, une parcelle de terre sous culture dite Parc Menez Glugeau contenant environ 75 ares ;
3° au nord de cette parcelle, autre parcelle défrichée dite Parc Bras Menez Glugeau contenant environ 1 hectare 50 ares ;
4° à l’ouest du précédent article, une parcelle défrichée dite Parc Bian contenant environ 50 ares ;
5° au midi du précédent article, une parcelle défrichée dite Parquic ar Foën contenant environ 50 ares ;
6° à l’ouest de la précédente, une parcelle défrichée dite Parc al Leur contenant environ 75 ares ;
7° au nord de la précédente, une parcelle défrichée dite Parc ar Léon contenant environ 36 ares ;
8° à l’ouest de la futaie et des édifices, une parcelle défrichée dite Parc ar Hoat contenant environ 1 hectare 50 ares ;
9° à l’ouest du Parc ar Hoat, une parcelle dite Parc Bras contenant environ 2 hectares ;
10° au nord du précédent article dont elle est séparée par un chemin, une parcelle défrichée dite Parc Moan contenant environ 60 ares ;
11° au nord du précédent article, une parcelle défrichée dite Parc Izella Herih contenant environ 1 hectare ;
12° au nord du précédent article, une parcelle défrichée dite Parc Creis contenant environ 1 hectare ;
13° à l’ouest de Parc Creis, autre parcelle dite Parc Guinis Du contenant environ 75 ares ;
14° à l’ouest de Parc Guinis Du, une parcelle défrichée sous pré dite Ar Prat contenant environ 36 ares ;
15° au nord des deux précédents articles, une parcelle dite Parc ar Herih contenant environ 1 hectare 25 ares ;
16° au levant de Parc Creis et de Parc ar Herih, une parcelle défrichée dite Ar Prat sous labour et pré contenant environ 80 ares ;
17° au levant du précédent article dont elle est séparée par un chemin et un abreuvoir, une petite parcelle défrichée dite Parc ar Poul contenant environ 25 ares ;
18° à l’ouest de l’article ci-dessus dont elle est séparée par le petit chemin de servitude, une parcelle défrichée dite Parc an Azil contenant environ 50 ares ;
19° au couchant de la cour de Menez Meur, une maison d’habitation construite en maçonnerie ayant rez-de-chaussée, étage et grenier sous couverture d’ardoises ;
20° au sud de cette maison, une étable construite en maçonnerie ayant rez-de-chaussée, étage et grenier sous couverture d’ardoises ;
21° au nord de cette cour, une grange construite en maçonnerie avec rez-de-chaussée, poutres en attente de grenier sous couverture d’ardoises ;
22° au couchant de cette grange, une étable ayant rez-de-chaussée, premier étage et grenier sous couverture d’ardoises, abritant aussi un four qui a son orifice dans la précédente grange ;
23° au pignon couchant du précédent édifice, une écurie construite en maçonnerie, couverte en ardoises, ayant poutres en attente de grenier ;
24° au pignon couchant de cette écurie, autre écurie construite en maçonnerie, couverte en ardoises ;
25° au levant de la maison principale, un puits en maçonnerie avec treuil, chaîne et seau sous couverture d’ardoises et avec auge en pierre de taille ;
26° au sud-est de la cour une grande grange construite en maçonnerie ayant rez-de-chaussée et grenier sous couverture d’ardoises ;
27° au nord de cette grange, séparée d’icelle par le chemin, un édifice servant de cave construit en maçonnerie ayant rez-de-chaussée et grenier sous couverture d’ardoises ;
28° au pignon levant de cette cave, une crèche à porcs construite en maçonnerie, couverte en ardoises ;
Les articles 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27 et 28 ci-dessus, l’aire et les courtils occupent une superficie d’environ 21 ares 50 centiares et sont abrités par un bois de haute futaie d’une superficie d’environ 2 hectares 21 ares 50 centiares.

Et enfin de la partie de la montagne de Menez Meur non comprise dans les deux fermes ci-dessus désignées, ladite partie contenant d’après le même rapport d’experts 33 hectares 1 are 5 centiares.

 
À partir du rapport d’expertise de 1901, du cadastre de 1965 et des cartes disponibles sur le site de Géoportail nous avons reconstitué la ferme de Menez Meur ainsi que la chronologie des travaux.
Ces différents documents laissent à penser que rien n’a été modifié dans la structure des champs entre 1901 et aujourd’hui. C’est une chose extrêmement rare dans nos campagnes où de nombreux talus et chemins ont été supprimés dès les années 1950 suite à l’arrivée des tracteurs.
Les anciens bâtiments, aussi, sont quasiment identiques.
 
Il est probable que Julien Prioux s’installe d’abord dans la maison située au nord de la propriété (appelée Croas ar Woënnec à partir de 1891 et Maner Préon de nos jours) chez les Tanguy.
Puis il recherche le meilleur endroit pour construire sa ferme.
Il faut d’abord trouver de l’eau, c’est primordial. Un point d’eau pour abreuver les animaux est, aussi, indispensable. S’il peut trouver un terrain plat pour les bâtiments, la cour et les jardins, c’est bien mais ce n’est pas indispensable. Et une ferme proche des voies de communications facilite grandement la vie de tous les jours.
 

L’étude du plan cadastral montre que toutes les conditions précédentes sont réunies.
Elle montre aussi que la construction du domaine a été pensée :
- une large allée qui permet le croisement de deux charrettes. Elle traverse tout le domaine d’est en ouest, longe les bâtiments et dessert de nombreuses parcelles ;
- une maison dont les ouvertures sont orientées vers l’est. Cette orientation permet un réchauffement plus rapide de la maison le matin ;
- un plan des bâtiments eu U. Cette disposition ressemble beaucoup à ce que l’on appelle aujourd’hui ’triangle d’or’ ou ’triangle d’activité’ lors de la réalisation d’une cuisine équipée. Les déplacements entre bâtiments sont optimisés ;
- les jardins face à la maison ;
- une mare servant d’abreuvoir et proche des bâtiments ;
- un bois de "haute futaie" situé derrière la maison et qui abrite celle-ci des vents dominants ;
- un champ pour les veaux (Park al Leueou), proche des bâtiments et donc d’une surveillance aisée.
- des talus plantés d’arbres. En effet, la consommation de bois est énorme dans les fermes. Il faut du bois pour cuire la nourriture des animaux et des humains et pour se chauffer. On a également besoin de nombreux piquets et bâtons.

Essai de reconstitution des bâtiments de Menez Meur en 1901.

Nous n’avons trouvé aucune preuve de la chronologie des travaux.
Aussi, voici ce qui nous semble le plus réaliste :
 
1. Construction du puits.
2. Construction du chemin d’accès depuis la route reliant Lopérec à Sizun jusqu’au niveau de la future ferme. La construction complète n’a peut-être pas lieu immédiatement. Les talus, fossés et plantations peuvent être réalisés plus tard.
3. Construction de la maison.
4. Élaboration des jardins.
5. Construction des autres bâtiments (écuries, étables, granges, four à pain, crèche à porcs).
 
Le corps de ferme étant construit, Julien Prioux s’attelle au défrichage des landes. Il commence sans doute par les terrains les plus proches de la maison et situés de part et d’autre de l’allée principale.
Il construit aussi des talus autour de chaque parcelle. Ces talus en pierre et en terre sont recouverts d’herbe et plantés d’arbres. Nous en avons totalisé plus de 5 kilomètres.
Il va ainsi défricher 17 parcelles totalisant environ 15,5 hectares entre 1867 et 1900.
À cela il faut ajouter les superficies du corps de ferme, du bois, des jardins et des chemins qu’il a aussi fallu défricher.
Au total, les superficies défrichées représentent près de 19 hectares.

Essai de reconstitution de la ferme de Menez Meur en 1901.

Félicitations au Domaine de Menez Meur et au Parc Naturel Régional d’Armorique qui ont remporté le 4e prix “Allées d’arbres” décerné au Salon international du patrimoine culturel 2021 à Paris par l’association Sites et Monuments.
Ce prix couronne les allées de hêtres plantées au XIXe siècle par Julien Prioux sur le domaine.

 

 
Le tableau ci-dessous donne la liste des parcelles, leur nom et surface telles que décrites dans le rapport d’expertise de 1901.
 
Colonne 1 : retranscription littérale des noms de parcelles
Colonne 2 : retranscription littérale des superficies en hectares (ha), ares (a), centiares (ca).
Colonne 3 : transcription en breton moderne d’après le dictionnaire de Roparz Hemon et Ronan Huon.
Colonne 4 : transcription des superficies mesurées sur Géoportail en hectares (ha), ares (a), centiares (ca).
Colonne 5 : traduction des noms de parcelles.
 

Certaines données méritent explications :
Premièrement, les superficies transcrites dans le rapport d’expertise sont inférieures d’environ 10 % par rapport aux mesures effectuées sur Géoportail. Les experts, qui ne sont pas des agents du cadastre mais des paysans des environs, ont sans doute estimé les superficies utiles.
Les mesures effectuées sur Géoportail correspondent sensiblement à l’addition des surfaces utiles, des fossés et des talus.
 
Et deuxièmement, certains noms de parcelles semblent erronés. Le rapport d’expertise que nous avons trouvé est une copie effectuée d’abord par le notaire de Hanvec, puis par un agent du service des Hypothèques de Brest. Il est fort probable que ce dernier connaissait mal les toponymes bretons. Il est aussi possible que l’écriture du notaire ne soit pas très lisible.

Voici les corrections que nous proposons sachant qu’en matière de toponymie il faut toujours rester prudent.
• Parc ar Léon : Ce champ est situé très près de la cour de ferme. Nous pensons à Parc al Leueou (le champ des veaux). Leueou se prononçait "Le-i-ou" et quelquefois ça ressemblait à "Lé-i-ou".
Nous avons aussi consulté le cadastre napoléonien sur la commune voisine du Tréhou établi en 1811. 17 noms de parcelles, toujours situées très proches des bâtiments de ferme, comportent des mots comme alléou, à Leou, Leon, Léon, a Léon ou Leon. Et nous retrouvons sensiblement les mêmes mots à Hanvec (Léon, Leon et Leou).
• Parc Izella Herih et Parc ar Herih : Park Izella Kerc’heg et Park ar Kerc’heg (le champ d’avoine d’en bas et le champ d’avoine). Y a-t-il eu confusion entre le ’k’ et le ’h’ qui ont de grandes similitudes en écriture cursive ?
• Parc an Azil : Park an Atil, le champ fertile ? Y a-t-il eu confusion entre le ’t’ et le ’z’ ?
 

Nom

Sup. (ha a ca)

Nom corrigé

Sup. corrigée (ha a ca)

en français
Parc Menez Glugeau

75 00

Park Menez Glugeau

92 70

Le champ (près) de Menez Glugeau
Parc Bras Menez Glugeau

1 50 00

Park Bras Menez Glugeau

1 57 80

Le grand champ (près) de Menez Glugeau
Parc Bian

50 00

Park Bihan

54 50

Le petit champ
Parquic ar Foën

50 00

Parkig ar Foenn

67 50

Le petit champ de foin
Parc al Leur

75 00

Park al Leur

87 20

Le champ (près) de l’aire à battre
Parc ar Léon

36 00

Park al Leueou

38 40

Le champ des veaux
Parc ar Hoat

1 50 00

Park ar C’hoad

1 70 70

Le champ (près) du bois
Parc Bras

2 00 00

Park Bras

2 05 80

Le grand champ
Parc Moan

60 00

Park Moan

70 80

Le champ mince
Parc Izella Herih

1 00 00

Park Izella Kerc’heg

84 70

Le champ d’avoine d’en bas
Parc Creis

1 00 00

Park Kreiz

1 11 40

Le champ du milieu
Parc Guinis Du

75 00

Park ar Gwinizh-du

76 50

Le champ de blé noir
Ar Prat

36 00

Ar Prad

50 80

Le pré
Parc ar Herih

1 25 00

Park ar Kerc’heg

1 10 00

Le champ d’avoine
Ar Prat

80 00

Ar Prad

98 50

Le pré
Parc ar Poul

25 00

Park ar Poull

29 40

Le champ (près) de la mare
Parc an Azil

50 00

Park an Atil

55 40

Le champ fertile
Corps de ferme

21 50

 

21 50

Bois de haute futaie

2 21 50

 

2 21 50

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Article mis en ligne le 10 juin 2021, dernière mise à jour le 26 février 2022.